START-UP & AFRIQUE :

Start'in Sorbonne
7 min readFeb 19, 2021

Souvent négligé, et, au mieux relégué au second plan, le continent africain n’est que très rarement associé au monde de la start-up. D’où peut bien provenir cette « invisibilisation » d’une terre de 30 millions de kilomètres carrés ? Les raisons sont aussi nombreuses que les pays qui se partagent cette superficie. En effet, l’Afrique regroupe pas moins de cinquante-quatre pays dont le paysage socio-économique varie d’un pays à un autre. Zoom sur un continent dont l’écosystème entrepreneurial est encore méconnu du grand public, mais dont le potentiel lui fraye un chemin au-delà des idées reçues.

Un peu de contexte…

L’Afrique, qui peinait à faire décoller son écosystème de start-up à l’aube de l’an 2000 semble se relever petit à petit. Ce retard relatif peut s’expliquer notamment par des difficultés structurelles telles que la corruption, une structure des services publics défaillante, l’absence d’Internet hors des zones urbaines sans oublier l’agriculture et le climat… Les enjeux y sont cruciaux puisqu’ils concernent principalement les besoins fondamentaux des populations locales. Les start-up sont donc poussées par la volonté de se substituer au système en place et de lever ainsi ces freins qui grèvent traditionnellement le développement économique du continent. Pour Emmanuel Ibe, à la tête de Startuplist Africa, une plateforme qui regroupe les données et statistiques des start-up, « Les investisseurs se sont concentrés sur les besoins réels des Africains (…) L’écosystème des start-up leur apporte des réponses. »

Un catalyseur notoire du décollage du continent africain est l’implantation de Partech Africa qui souligne l’arrivée des grands fonds spécialisés, qui a permis aux jeunes pousses d’avoir un intermédiaire efficace qui les accompagne dans leurs phases de développement.

L’explosion du nombre d’incubateurs de start-up témoigne également de la tendance haussière de l’esprit entrepreneurial dans nombre de pays africains. Le dernier rapport de la banque mondiale en recense 645 en 2019, contre 314 en 2016 et 442 en 2017 — contre à peine une quinzaine au début des années 2010.

Financement & disparités :

Selon le rapport de Partech Africa paru en 2020, il y a une multiplication exponentielle des levées de fonds sur le continent : le total est passé de 200 millions il y a cinq ans à plus de 2 milliards en equity en 2019.

Le centre de recherche StartupBlink a dévoilé son classement des écosystèmes de 100 pays et 1000 villes dans le monde. Les critères retenus sont le nombre de start-up naissantes, leur qualité, ainsi que leur environnement. Onze pays africains figurent dans le classement. Le leader, l’Afrique du Sud, est classé 52ème suivi par le Kenya — 62ème. Le Rwanda et le Nigéria complètent le fer de lance africain, et occupent respectivement la 65ème et la 68ème place, suivis par la Tunisie (77ème) et l’Égypte (81ème), le Maroc (83ème) et le Ghana (85ème). La queue du peloton est constituée par l’Ouganda, le Cap-Vert (nouvelle entrée), et la Somalie.

A titre liminaire, il convient de noter que plusieurs découpages peuvent permettre de dresser des comparaisons entre les zones du continent. Certains défendent la vision duale d’Afrique « francophone » ou « anglophone »; certains préfèrent la subdivision géographique — Afrique centrale, du Nord, ou du sud.

Cependant, les disparités sont discutablement plus flagrantes au sein même du continent qu’ailleurs. Plusieurs rapports et études révèlent que les tech entrepreneurs et innovateurs de la sous-région Afrique centrale sont ceux qui suscitent chaque année le moins d’intérêt de la part des banques, des organismes internationaux et des fonds d’investissement dédiés à l’innovation technologique.

En effet, dans le groupe que forment le Cameroun, le Congo, le Gabon, le Tchad, la RDC, l’Angola, la Centrafrique et la Guinée Equatoriale, l’écosystème start-up qui existe n’est pas mature. Selon Georges Meka Abessolo, « Les start-upper développent peu de solutions qui répondent aux besoins et aux réalités locales. Ils veulent directement développer une solution, une application ou un service inédit qu’ils espèrent introduire directement sur le marché international. »

En 2017, la Société Financière Internationale, branche de la Banque mondiale dédiée au secteur privé, estimait que le secteur des start-up africaines avait été à l’origine d’une levée de 556 millions de dollars US attribuée à 124 start-up. Le volume financier affichait ainsi une augmentation de 53% comparé à 2016.

Néanmoins, sur les 54 nations du continent, l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria et l’Egypte confisquent 84% de ce financement.

Et en 2019, le fossé se creuse: d’une part, le Nigéria s’est accaparé 747 millions de dollars, soit 37% des fonds de Partech. D’autre part, L’Éthiopie n’en a intercepté que 1 million.

Quelle solution ?

Les voix qui s’élèvent semblent toutes s’accorder sur le rôle de la commande publique sur le succès potentiel des start-up africaines.

Sakinatou Balde, spécialiste programme à la Direction de la Francophonie économique et numérique affirme que « c’est le rôle de l’Etat de faciliter l’émergence de ces start-ups » en finançant leurs innovations. Pour illustration, elle raconte l’expérience du Rwanda: « Le gouvernement rwandais vient de mettre en place un fonds de financement de start-ups de 100 millions de dollars en Afrique et pas seulement au Rwanda pour ce faire. », a-t-elle expliqué. Le partenariat public-privé devrait aboutir sur une cohésion des objectifs de développement qui créera sans doute un environnement plus stable et plus favorable aux investissements. La politique publique à donc un vrai rôle à jouer dans l’essor futur des start-ups.

La crise sanitaire: quel bilan ?

Hélas, la crise sanitaire due au nouveau coronavirus n’a évidemment pas épargné le continent. De nombreuses jeunes entreprises africaines — plus de 80 % — acclamées hier encore pourraient se retrouver contraintes de déposer le bilan. C’est le constat fatidique d’une année 2020 qui laissait présager un bond d’investissements sans précédent.

En revanche, deux secteurs y ont résisté, voire y ont puisé leur succès: l’énergie et la santé.

Source : LePoint
  • Énergies renouvelables

Greenlight Planet, une société kényane, commercialise des produits d’énergie photovoltaïque domestique. Fondée en 2007, elle rassemble aujourd’hui plus de 60 millions d’utilisateurs, séduit par les coûts avantageux et, surtout, qui répond au besoin pressant de pallier les faiblesses des service d’électricité (quelques 600 millions d’Africains, sur une population de 1,3 milliards ne sont pas reliés aux réseaux électriques nationaux) — surtout en temps de pandémie où confinement, télétravail et restrictions de déplacement sont les nouvelles normes.

La poussée créatrice grâce à l’innovation permet à d’autres initiatives de voir le jour. À titre d’exemple: les micro-paiements pour les panneaux solaires, développé par la start-up M-Kopa, également kenyane, qui propose d’installer des panneaux solaires chez les particuliers moyennant un dépôt initial équivalent à 35 dollars, puis 365 micro-paiements de 45 centimes sur téléphone mobile, à l’issue desquels le client devient propriétaire.

  • Santé

Au Nigeria, la start-up Arone propose quant à elle la livraison rapide de matériel médical vers et depuis les cliniques, les hôpitaux, les laboratoires et les établissements de santé, grâce à l’utilisation de drones.

Vezeeta, fruit de deux entrepreneurs égyptiens, est simultanément une plateforme d’échange, de comparaison, de prise de rendez-vous médicaux ainsi qu’une « e pharmacie ». Ergonomique et facilitant l’accès à la santé qui plus est dans une période de pandémie, Vezeeta est l’un des leaders du continent — et du Moyen Orient — de la HealthTech et est présente dans six pays: Égypte, Kenya, Nigeria, Jordanie, Arabie saoudite et Liban.

Le grand champion de l’innovation africaine :

Le potentiel du continent parvient à s’exporter, et ainsi l’augmentation des levées de fonds s’explique aussi par l’intérêt accru des grands groupes internationaux. Des géants tels que les japonais Sumitomo ou Sompo Holdings, le kényan Safaricom et le sud-africain Naspers ou encore les français Total, Axa et Orange sont désormais des investisseurs majeurs dans les start-up. L’industrie dont l’essor est le plus fulgurant demeure celle de la Fintech et de la téléphonie mobile.

La révolution dans les secteurs des télécoms et de l’innovation financière en fait le secteur qui intercepte la majorité des fonds levés, tous pays confondus.

Le lancement de M-Pesa par l’opérateur kenyan Safaricom, en 2007, est un système de micro-financement et de transfert d’argent par téléphone mobile. Initialement conçu pour l’usage de remboursement de microcrédits, son succès immédiat a transformé sa vocation première : les utilisateurs s’en servent désormais pour payer des biens et des services devant par conséquent une véritable monnaie électronique. Aujourd’hui, plus du tiers du PIB du Kenya transite par ce système et près de 70% des adultes utilisent M-Pesa, alors que le taux d’obtention de compte bancaire est de moins de 40%. Ce service a permis de remplacer une structure existante mais peu accessible, en l’occurrence les banques.

L’attrait est tel que le géant américain Visa vient de conclure un partenariat avec la start-up nigériane Paga, qui développe une application de paiement. Fondée en 2009 par J. Alabraba et T. Oviosu, Paga a mis sur orbite une application qui permet de payer ses factures, de régler ses achats et d’effectuer des transferts d’argent. Pour les personnes ne disposant pas de téléphones portables, elles ont la possibilité d’accéder au service via des agents locaux positionnés dans des kiosques.

En somme, les FinTech africaines ont capté 41,4% des investissements du continent en 2019, soit 836 millions de dollars, selon les données de Partech Africa. Plus de 60% des investissements réalisés au Nigeria sont concentrés dans la FinTech. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que la première licorne nigériane en soit une: Interswitch.

Le marché financier africain, et plus précisément bancaire, représente ainsi une belle opportunité d’investissement puisque, selon le cabinet de conseil McKinsey : «La pénétration de la banque de détail en Afrique ne représente que 38% du PIB, soit la moitié de la moyenne mondiale pour les marchés émergents». De nouvelles industries pourraient bientôt disputer la première place où, quoiqu’il en soit, la promesse de réussite est plus importante que la peur d’un éventuel échec.

Rajae Saber

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Start'in Sorbonne

Fondée en Novembre 2015, Start’in Sorbonne est une association qui a pour but de promouvoir l’entrepreneuriat auprès des étudiants de l’Université de Paris 1.